Carnet d'écriture pour "What is a youth ?"

SEMINAIRE « Rapt et Ravissement »
Journal de Création .


Entrée 1 – 27/10/17 :
Est-ce que je pars avec l’échec ?
Ce genre de phrase bateau pourrait présider à une épopée triomphante, conclusive, dans laquelle le doute est au bout du compte mis à mal par l’auteur. J.M. Barrie transcende sa vie et puis tout l’univers en assemblant strate par strate son Peter Pan. C’est le genre de success story artistique sur laquelle on rêve au travers des biopics. Je pense à Neverland, Comment C’est Loin, voire à Shakespeare In Love, et puis même au film sur Tolkien qui n’a pas encore vu le jour. Quand on crée, c’est là-dessus qu’on s’attarde. Sur d’autres qui galèrent pour vivre, pour forger leur univers à l’extérieur. Et comment on jouit lorsqu’on les voit réussir ! On les érige au rang de boussoles, laissant leurs songes au cadran nous guider dans la tempête.
Mais là y’a rien en fait.
Double sanction pour moi. Je suis une feignasse ET on s’écroule littéralement sous le boulot. Ou alors sous l’image de fumée que projette la prospective du travail à accomplir. Forcément, il a fallu que j’aille me coltiner mon obsession impossible. Je l’ai même proclamée devant tous les gens face à la table, peut-être un peu avec une semi-fierté inutile.
Un remake de jeu vidéo…. Mon pauv’couillon. Plus un journal faussement intime (Coucou Nicole du futur !), dont je dois me servir pour accompagner mon processus mental. Alors autant écrire au fil et ne pas mentir, puisque sinon tout ça sera vraiment artificiel et définitivement inutile.
Je viens de rentrer à la maison. Une semaine pour l’anniversaire d’Emma, et ça passera très vite. Tellement de trucs partout, et je ne sais même pas à travers quel bout me prendre.
Je repasse le mail de Nicole dans ma tête, et voilà le vrai souci :
The Witcher est super, et tout ce que je lui ai dit sur le Chapitre 4 a effectivement beaucoup d’importance pour moi. Ça a même influencé les couleurs mentales du projet que j’ai pour mon mémoire. J’ai remarqué qu’elle a confondu le Witcher 1 et le Witcher 3, sinon elle aurait jamais trouvé les graphismes très beaux ! Il faut que je lui réponde d’ailleurs, sérieusement. Sauf que j’hésite. J’ai réinstallé le jeu avant de partir, juste au cas où. J’ai repris une sauvegarde du chapitre 4, et petit à petit, toutes les sensations sont revenues, exactement telles que je les avais senties autrefois, la surprise en moins… Mais merde, à la fin je me rends compte que toute cette histoire pose des soucis. Deux d’entre eux me frappent :
Le premier, en soi, n’est pas dramatique et insoluble. C’est plus une réticence en fait. The Witcher, avant d’être une trilogie de jeux vidéo, est avant tout une saga littéraire. Le Sorceleur de Sapkowski est édité chez Bragelonne, coincé dans les rayons inférieurs de la Fnac ou des librairies diverses. Couvertures kitsch et traduction douteuse ne lui font pas honneur. En même temps, je me souviens d’avoir acheté les premiers livres et de les avoir presque détestés, sans compter que par-dessus le marché l’auteur polonais semblait assez snob et insupportable dans ses interviews, niant l’impact positif que les jeux vidéo ont eu sur ses ventes littéraires et sa popularité à l’international. Pas sûr que la traduction française soit la seule en cause.
J’avais envie de lui dire « Calme-toi mec, au fond t’as fait juste un cycle de fantasy de quasi bas-étage ! ». Mais bon… je suppose que lui au moins a écrit quelque chose. Et je m’égare…
Toujours est-il que voilà, est-ce que c’est vraiment si intéressant que ça de translater en littérature un jeu déjà issu de la littérature (même si dans ce cas, les développeurs du jeu avaient opté pour une continuation plutôt qu’une réécriture). Certains trouveront que c’est un dialogue continu entre deux médias et deux auteurs qui est fort intéressant. D’ailleurs, même moi je trouve ça intéressant !
Sauf que ma perplexité demeure. A cause du deuxième souci. Le vrai souci pourrait-on dire :
Mon fantasme est un fantasme réellement impossible. Même si je devenais vraiment vraiment bon, genre un grand maître de la narration et du style, JAMAIS je ne pourrai retranscrire ce mélange de sensation et d’interactivité que seul le média vidéoludique peut offrir.
J’veux dire : causer du vent sur le visage, c’est faisable. Le vent et le visage c’est notre quotidien, et même en faisant de la fantasy on peut en parler. Mais ce qui change dans le jeu vidéo, c’est cette possibilité que l’on a de contrôler le temps de ladite sensation. Comme dans la vraie vie, on peut décider de s’arrêter pour contempler. On peut bifurquer. Se coller à une foule de détails qui n’ont en eux aucune autre interactivité que leur propre existence. C’est notre œil de joueur, à travers notre avatar, qui leur donne de l’importance, qui nous permet d’y injecter notre propre fantaisie.
La contemplation en fait, c’est un truc de malades !
Enfin, l’acte contemplatif ne pose pas de problèmes en lui-même, puisqu’il s’agit de la vraie vie. Mais retranscrire ça dans l’art, dans la fiction ? Ce que fait Terrence Malik est admirable, même si la plupart du temps il s’y casse les dents. J’avoue avoir fini par m’emmerder devant Tree Of Life.
Pourquoi ? Parce que l’absence d’intrigue et de personnages, couplée aux belles images ne peut pas faire tout. Parce qu’à mon avis, le contrôle du temps est la clé. Plus ça va, plus j’en suis convaincu.
J’avais essayé un truc l’année dernière, pour l’atelier de Pacôme. J’avais voulu écrire une histoire se déroulant en plein Seigneur des Anneaux, qui se centrait simplement sur une famille de civils, sur une fillette et ses parents allant rejoindre la campagne pour fuir les guerres et l’ombre. Mon Voisin Totoro de Miyazaki était ma boussole. Miyazaki est celui qui m’a offert les sensations contemplatives les plus proches de celles découvertes dans certains jeux vidéo. J’ai donc voulu faire du Miyazaki en littérature… et j’ai échoué. Genre lamentablement. Beaucoup de trucs sonnaient faux, la douceur et la nostalgie que j’essayais d’insuffler étaient reçus par les gens comme de la naïveté (pour ne pas dire « des trucs cucul-la-praline »). Et franchement, j’ai toujours un peu le gout de cet échec dans ma bouche. Parce que c’est un échec d’expression, parce que ça compte vraiment pour moi de réussir à restituer un jour toutes les couleurs qui m’habitent le cœur.
Est-ce que ça compte comme échec d’échouer à l’impossible ? Et si on ne peut pas traduire l’impossible, on fait quoi ?
Voilà pourquoi je me dis, The Witcher, et son chapitre 4, est-ce que c’est vraiment une si bonne idée que ça ? A quoi ça sert que je répète mon fracassage de gueule juste par folie ou par orgueil ?
Parce qu’intellectuellement, la problématique est stimulante. Mais dans les faits, si cette histoire de contemplation dans les jeux vidéo est impossible à « remaker », est-ce que ça vaut pas mieux de partir sur autre chose ?
Juste choisir un jeu, l’écrire, et puis voir ce qui se passe ?
Et bordel. Comment ils font les gens à vraiment tenir ce type de journaux ?

Entrée 2 – 28/10/17 :
Un article sur les novélisations de jeux vidéo, vu par l’expérience d’un des écrivains qui s’en occupent :
http://www.unboundworlds.com/2011/02/the-tie-in-life-by-raymond-benson/
Ce Benson approche la chose de la manière la plus pratique qui soit : celle d’un job nécessaire à l’écrivain pour vivre dignement et manger. On est sincèrement très loin des grands lustres de la littérature. Même s’il semble être assez fier de certains de ses écrits réalisés dans ce cadre, aucun n’est à proprement parler un « remake » destiné à transcender l’œuvre originale. La dimension transmédia est bel et bien présente par contre, notamment sur les questions du temps. Le roman oblige à recentrer le tout sur la progression du récit, pas de place pour des vagabondages dans les décors. De plus, tandis que le joueur peut projeter une partie de sa propre contemplation dans l’univers, le lecteur est lié aux propos figés des personnages.
Il faut que j’abandonne une fois pour toutes ce truc de contemplation. Je dois réfléchir, même s’il est absolument temps de se mettre au travail. Autrement rien ne sera possible.
J’ai quand même trouvé un chouette article sur le Chapitre 4 (de The Witcher, toujours). C’est agréable de voir que d’autres personnes ont perçu cette magie spéciale qui habite cette portion du jeu !
https://kotaku.com/the-witchers-fourth-act-takes-rpgs-to-the-next-level-1623958861

Entrée 3 – 04/11/17 :
Est-ce qu’on peut aimer les imperfections, les gros défauts d’un jeu ?
La réponse est oui bien sûr, elle est presque outrageusement évidente, mais jamais je n’avais pris le temps de me la poser. Ni par oral ni par écrit. Si je n’avais pas un internet pourri, je copie-collerais ici l’extrait de mail de Nicole. Je ne suis pas un intellectuel, pas au sens classique du terme. Mais cette réflexion-là, je voudrais la mener en avant quand même, même en gros LEGOS, même en quelques lignes.
Je crois au fait d’être touché. Par des gens, par des choses. Quand on s’engage dans une relation avec une personne (même de façon unilatérale), c’est que quelque part en nous une barrière est morte, et que l’eau s’est mise à couler au-delà des décombres. On s’ouvre. Peut-être parce qu’on retrouve ailleurs un écho de soi, un espoir, une passion, une chose indicible… Ce n’est pas mon rôle d’en déterminer la nature ici. Mais ce qui importe c’est qu’au moment où nous engageons ce contact particulier avec une personne ou une œuvre, l’intellect perd sa place de premier prisme d’analyse en faveur de l’émotion. En amour, nous débutons un chemin dominé par le sensible, où nous nous laissons traverser par la personnalité de l’autre et, au-delà de la passion, nous finissons par le voir tel qu’il est sans parfum et sans filtres. Mais à ce moment, si l’amour est amour, alors ces imperfections nues nous apparaissent sans laideur aucune, ne diminuant en rien l’affection qu’on éprouve pour l’autre. Bien que la plupart du temps ce constat nécessite un ajustement de notre part (on trouve des compromis pour vivre en relative harmonie, on s’adapte), la valeur des sentiments est intacte, parce qu’on est allé au-delà.
Et je suis proprement stupéfait de voir à quel point le mécanisme est similaire lorsque nous approchons notre rapport à une œuvre d’art. Est-ce qu’au fond nous sommes touchés par l’âme de l’artisan qui se manifeste à travers l’objet, plus que par l’objet en lui-même ? Je suis tenté de répondre oui. Et immédiatement renchérir qu’il s’agit là d’un faux problème. Dans le Seigneur Des Anneaux, l’Anneau et Sauron sont indissociables. Et c’est bien cette prise de conscience qui permet aux héros de sauver la Terre du Milieu. Je ne m’étends pas plus, car je suis quasiment sûr que les Grecs avaient dû déjà formuler et répondre de ces problématiques. Mais c’est vraiment beau tout ça… Et fascinant !
Faut dire aussi que depuis quelques années, l’approche industrielle et inhumaine a globalement conquis l’univers du jeu vidéo. Les budgets grossissants, la diminution des prises de risques, les études de marché et la fadeur finale du produit d’usine. Tout n’est pas noir bien sûr, mais la crise frappant le cinéma aujourd’hui s’est rapidement reproduite dans le monde vidéoludique. Certaines grosses boîtes brassent des licences et des franchises à la pelle, et l’audace n’est plus autant valorisée qu’au début des années 2000. C’est pourquoi, les projets qui marchent réellement aujourd’hui sont en vérité ceux qui prennent le risque d’être eux-mêmes, malgré si les ventes ne sont pas aussi élevées que la 34 ème mouture du même jeu de guerre qui ressort à 60 euros tous les ans.

Entrée 4 – 05/11/17 :
J’avais pris une pause depuis quelques jours. Désœuvré aussi, faut bien le dire. Avant-hier on a parlé avec Maman, elle voulait savoir un peu sur quoi je travaillais. On a parlé longtemps. Elle a eu assez de patience pour écouter mes blablas sur la contemplation dans le jeu vidéo, je lui ai montré aussi un bout de The Witcher. Elle m’a dit cash : si tu te perds là-dedans, à mon avis, tu seras frustré et pas plus avancé qu’aujourd’hui. En gros, elle m’a dit ce qui me ronronnait un peu dans la tête il y’a quelques jours. Mais le fait qu’elle me le dise m’a aidé à lâcher. Et du coup, mon esprit est revenu vers le jeu, les personnages et l’univers qui m’habitent régulièrement ces derniers temps : Life Is Strange. Un jeu qui en soit est déjà très cinématographique, très guidé. Mais qui vous implique profondément et qui a le parfum de grandes respirations. Une œuvre qui marque.
Alors dans la foulée j’ai fait un essai, non pas sur le LiS original mais sur la préquelle, Before the Storm, que je connais moins bien et dont la fin n’est pas encore sortie (mi-décembre je pense…)
Et patatras. Ça marche ! Ça a la gueule d’un truc qui marche, en deux micro-paragraphes j’ai pris du plaisir, je n’allais pas vite mais je m’y sentais bien. En fait je peux pas être sûr que ça marche, mais la vérité c’est sincèrement que je n’ai plus le temps de me torcher avec mes doutes. Si j’avais encore essayé de bosser sur un truc complexe, le délai de rendu ne m’aurait pas suffi pour rendre un travail correct. Et là c’est bien l’idée, faire du correct. J’ai tendance à être ambitieux, à balancer des idées dans les étoiles et à courir après avec des échelles bancales reliées par Patafix.
J’ai fait mon choix.
Pour l’instant, je vais partir sur une simple novélisation. Raconter l’histoire, les personnages avec ma voix, mon style. Le narrateur est omniscient, et pour l’instant désincarné. Si j’ai le temps, je verrai si je peux m’amuser avec tout ça. Parce que dans les jeux vidéo, le joueur est autant acteur que témoin… Est-ce que ça serait intéressant de traduire cette présence-là dans le texte ? Peut-être de faire jouer un certain nombre de mes camarades et enregistrer leurs sensations et commentaires ?
Encore une fois, on verra.
Pour l’instant, je vais me borner à raconter l’histoire de Chloé, quel que soit le résultat de mes cahiers de scribe.

Entrée 5 – 14/11/17 :

ANALYSE SENSIBLE
Le vecteur nostalgique dans la saga Life Is Strange

L’un des grands atouts de Life Is Strange, un des trucs qui m’ont vraiment fait aimer d’amour ce jeu, c’est ce rapport entretenu avec la nostalgie. La nostalgie à l’intérieur de l’œuvre et puis celle à l’extérieur, celle qui s’échappe de l’écran parce qu’elle rentre en résonance avec la nôtre. Celle qui réveille nos souvenirs. Si on y regarde de plus près, c’est fascinant de voir comment les développeurs ont installé cette trame nostalgique, de façon sinueuse, pas toujours immédiate, mais qui forme en réalité le cœur de la branche sur laquelle nous sommes assis.
Je me souviens de moi jouant à l’épisode 1, Chrysalis. Au bout d’une petite heure, l’héroïne Max Caulfield retrouve son amie d’enfance (depuis longtemps perdue de vue) Chloé Price. Leurs retrouvailles sont d’abord tendues. On comprend d’emblée que les deux jeunes femmes ont un passif assez lourd, chargé émotionnellement. Culpabilité et reproches sont bel et bien là entre deux dialogues, comme dans la vraie vie. Et puis d’un coup, on se retrouve dans la chambre de Chloé. Nous sommes aux commandes de Max, et on nous laisse libre d’observer une fouille de petits détails : vieux dessins, cendrier, photos, ordinateur, boule à neige, affiches, multiprises, tâche de vin, armoires, etc… Dès que l’on appuie sur le bouton « Regarder », l’héroïne commente. Elle observe avec son filtre, et nous renseigne sur la maison de sa meilleure amie, elle nous guide sur les indices de sa propre enfance. Cette présence intime du monologue intérieur, cette liberté de s’arrêter sur une narration annexe suivant notre propre rythme… ben c’est juste génial. Et finalement, c’était assez inédit dans les jeux vidéo jusqu’à ce que Life Is Strange ne sorte. Mes propres souvenirs m’ont ainsi transporté quatre ans en arrière, à cette sensation unique que nous procure le réveil dans la maison d’un ou d’une amie proche. Je me suis souvenu du bruit des pancakes chez la famille Gy, l’odeur générale des murs et des escaliers, de Romain et moi qui échangeons des conneries et des délires avachis en slip sur nos matelas, de Yuna qui bondit sur le lit de son frère. Et comment elle l’emmerdait pour qu’il se lève et qu’elle puisse piquer sa guitare. Et puis les discussions avec Philippe et Anne, et le soleil qui baignait doucement leur cuisine. Toutes ces choses ordinaires et incroyables, elles sont restées là lointaines et proches, floues, et finalement inaccessibles.
Mais Life is Strange, en me demandant de m’impliquer dans la nostalgie de ses personnages, me pousse finalement à la nourrir avec ma propre expérience, biaisant définitivement mon regard critique sur le jeu. Et quand une œuvre réussit ce coup-là, c’est en général qu’elle a réussi son pari artistique.
Ici, la nostalgie est tellement fantasmée qu’elle se concrétise dans le réel, tel qu’il est vécu par ses protagonistes. Max est étudiante en photographie mais emploie des polaroids, ce qui révèle déjà la nature de son regard d’individu. Et donc finalement, son pouvoir magique est sans surprise lié à l’essence même de sa personne, vu qu’elle est capable de remonter le temps sur une durée limitée, pouvant ainsi changer le cours des événements à court terme.

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