La Cité Sirène (extrait)
I
« Oulva, la turbine ! Magne-toi
la dershka, vite ! »
Pas besoin de lui dire.
De haut en bas, les doigts assombris
de suie s’affairaient. Plongés aux entrailles de l’engin, ils maintenaient la
lutte. Le moteur à lucioles lui, crachait avec entrain. Sa révolte était forte.
Dans un concert de bruissements, il mollardait son fiel à tout va, en direction
de l’air libre. Le visage de l’adolescente en était recouvert. Sans relâcher la
pression, elle ignora de son mieux les coulées de lumière liquide qui lui
beurraient les joues.
La voix velue de Persoq résonna
depuis le cockpit.
« Une minute avant l’heure du
Chant ! Je te jure que si on loupe le démarrage, je te coupe les rations
pour la semaine ! »
Coup de clé. Le crachin du moteur
hésita, puis se changea en ronronnement. Ils étaient prêts ! Soulagée, Oulva
détendit les épaules et s’allongea au sol. Il ne fallait pas manquer ce moment.
Progresser dans l’immense Cité n’était possible qu’une fois par jour. Soixante
minutes. Un seul tour de cadran. Le garage mouvant fit une embardée.
« Accroche ta salopette, la
naine !»
Oulva n’avait jamais compris
l’agressivité de Persoq. Le patron déballait les insultes comme un vendeur de
bazar, sans finalité aucune. Une personnalité « rude mais honnête », disaient
les prêtres. Mais c’était faux. Devant Oulva, Persoq se comportait comme un
con. Avec les clients aussi. Avec le Baron
et ses nobles également, à condition qu’ils aient le dos tourné. Sa catégorie
de connerie ? Méchant poids lourd ! Soixante-quinze kilos de bêtise pure.
Par chance, Persoq était d’une méchanceté simple. Inconsistante. Ce qui
changeait tout. Car jamais le garagiste n’avait touché son employée. Jamais il
ne l’avait abandonnée dans les dédales, kilométriques et déstructurés, de la
Cité-Sirène. Aux yeux de la jeune boréale, c’était déjà bien. Presque enviable.
Son quotidien puait le terne, mais au moins, elle avançait.
Il y eut un instant de vide. Sous
la cloche du réacteur, les lucioles murmuraient. Toujours étendue à terre, la
mécanicienne laissa ses muscles s’apaiser. Les secondes coulèrent en traversant
le monde. Paisibles.
Puis, d’un coup, le silence fut
percé. Absorbé par l’harmonie. Oulva frémit. C’était l’heure de la Voix !
Dés les premières notes, Persoq
explosa l’accélérateur. Plus rien n’existait. Plus rien de tangible. Le garage
motorisé oscilla, mordant la piste. Les sentiers de la Cité défilaient par le
hublot, révélant tout un réseau d’entrelacs urbains, déments de taille comme d’esprit.
Une géométrie folle ! Toute remplie d‘arcs et de ponts sphériques. Voyager
en son sein fleurait l’impossible. Ou presque ! Car pour s’orienter dans
ce labyrinthe, il n’existait pas d’autre boussole que la Voix… et la Voix ne
chantait qu’une heure par jour. Aucun
humain n’aurait pu y vivre. Aucune humanité n’avait pu la concevoir. La
Cité-Sirène se tenait pourtant parmi eux : déserte, moqueuse et vive. Éternelle.
A la tête du cortège, la bannière
du Baron flottait comme une flamme.
Les lampyres sauvages
s’écartaient sous les roues de la horde, et toutes suivaient son sillage.
Oulva regarda longtemps par la
fenêtre. La Voix pénétrait toutes ses fibres. Elle se sentait amoureuse. Depuis
le début, elle vibrait à l’unisson. Depuis l’aube des soirs au campement zéro,
les premières gouttes du Chant ne l’avaient jamais quittée. Cela faisait deux
ans qu’elle servait sous le pavillon de Persoq. Deux ans qu’elle supportait ses
railleries. Sept-cent-trente jours qu’ils couraient aux basques du Baron, homme-compas
inépuisable. Les garagistes n’appartenaient pas à son clan, mais l’homme avait
la faveur des prêtres. Aussi, ils proposaient leurs services. Gagnaient ses
grâces. Ils bradaient le tarif et les temps de leur mécanique en échange d’une
protection tacite. Et d’un guide. Car la course à la Voix durait depuis plus de
dix ans, et désormais, la Cité-Sirène ressemblait à un gros grouillis de
canailles. L’impossibilité d’en cartographier les quartiers la rendait
difficilement occupable, favorisant l’activité économique des coupe-gorges. Ainsi, les explorateurs esseulés se faisaient
rares. Ils voyageaient le plus souvent balisés, se rattachant dès que possible aux
caravanes couronnées. Ils suivaient le mouvement des élites. Et priaient pour
une récolte de miettes à leur table. Persoq était l’un de ceux-là : un
misérable plus ventru que la moyenne. Résolu comme un bœuf à servir de support,
tant qu’il pourrait en tirer profit.
Le flot de pensée fut interrompu
par une nouvelle modulation de la Voix : on approchait du dernier quart
d’heure. Le Baron et sa cour serrèrent les virages en frénésie. Avec
difficulté, le patron du garage leur emboita la trace.
« Oulva ! Déploie le
filet, vite ! Faut qu’on gagne du jus !
— Bien reçu ! »
Tandis que le hangar tanguait à
en vomir, la jeune fille se hissa aux rebords d’une paroi. Elle frappa sec du
poing, sur un bouton en sanguine. Aussitôt, une rumeur de poulies lui signala
l’activation d’une trappe à l’extérieur. Le vent s’engouffra dans le garage. Les
insectes capturés commencèrent à tomber dans l’entonnoir. Le réservoir à lampyres
se gorgea d’énergie. Persoq hulula, couvrant le son des moteurs renouvelés.
Maintenant, la Voix tirait son
chant du cygne. L’extase était si terrifiante qu’Oulva se boucha les oreilles,
le cœur battant à tout rompre. Comprimée par une ivresse trop grande, elle
pleura à verse. Elle pleura d’amour.
Et ce fut tout.
Précise comme l’horlogerie des sudistes,
la Voix éteignit sa complainte. Il était minuit aux heures des voyageurs. Il
était ullulluaq, selon le rythme des anciens. La
navigation n’irait pas plus loin pour ce cycle. Persoq sevra le moteur, et les
lucioles s’endormirent. En s’extirpant de la cabine, il traîna des jambes
jusqu’au hublot. Il n’eut aucun regard pour son employée. Dehors, les hommes du
Baron dressaient déjà les feux. Leurs véhicules tournés en cercle formaient une
protection solide, semblable aux murs d’une forteresse.
« Je vais garer
notre engin à la distance sécuritaire. On ouvre boutique !
— Hein ? Mais...
— Ho ! La naine ! Est-ce que je te paye
pour parler ?
— Non, mais…
— EST-CE QUE JE TE PAYE POUR OUVRIR TA SALE PETITE
BOITE A FOUTRE ?
— Déjà que vous me payez pas grand-chose, patron…
— Pas grand-chose, c’est déjà un salaire !
Alors estime-toi heureuse !
— Mais on ne va pas ouvrir le garage juste après le
Chant ! Vous savez très bien que tout le monde est épuisé. Personne de
chez le Baron ne va venir réparer sa carlingue au terminus d’une trace !
— C’est là où tu te fous l’obsidienne au cul, ma
petite. Parce que moi, j’ai vu la bécane du brigadier Imnek se ramasser un mur
dans la dernière accélération. Hé oui !
C’est tout juste s’il arrivait à tenir le rythme ! Le réservoir
latéral a dû subir une avarie. Donc, impossible de laisser traîner un truc
pareil, sinon c’est toute la cour qui va subir. Le Baron le fumerait sur le
champ… Alors je te parie ma couille à la Voix qu’il va se pointer comme une
fleur, sitôt qu’on aura rallumé l’enseigne.
— D’accord, mais…
— Maiiis
maiiis ! T’as que ça à frire, merdaillon ? Remercie
que tu sois au moins douée avec la mécanique ! Sinon y’a bien longtemps
que je t’aurais refourguée aux p’tits gars du Concubin. Tu voulais l’aventure ?
T’en avais marre de vivre avec les vieux croutons sous ton igloo ? Hé ben
voilà ! En avant la musique ! »
Il a continué à barboter dans ses propres discours.
Longtemps. Quand Oulva s’éclipsa sans répondre, Persoq ne la remarqua pas.
Comment pouvait-on aimer autant le fracas de sa propre langue ? Résignée,
l’adolescente boréale s’attela aux préparatifs du hangar. Lorsqu’il eut épuisé
le filon de sa logorrhée, Persoq déplaça enfin le garage, à soixante mètres du bivouac
voisin. Dès qu’ils furent stabilisés, Oulva déverrouilla le portail et mit en
route les panneaux luminescents. En la voyant debout sur l’embrasure, les
séides baronniaux lui adressèrent des saluts depuis leurs tentes. Tout autour, la
Cité-Sirène les enveloppait, majestueuse, de son mutisme.
II
La poussière des carlingues rendait l'air
étrange, presque mortuaire. Jadis, les poumons d'Oulva avaient l'habitude du
gel. Des vents contraires qui assassinent le souffle. Mais ici ? Tout
respirait la tombe. Depuis des heures, les brigadiers du Baron défilaient sous
le porche du garage. Persoq gueulait dans tous les sens et ne foutait rien,
comme d'habitude. Il a touché une ou deux fois la soudeuse. Par pure
symbolique. Sa bedaine sèche se pavonnait d'avant en arrière tandis qu'il
distribuait et entassait ses ordres. Le patron n'était pourtant pas incompétent.
Mais la cour qu'il faisait au Baron avait rouillé son œil, et son esprit
technique. La gloire l'égarait de jour en jour, Chant par Chant.
L'adolescente boréale posa un instant
sa clé. Depuis l'auvent du garage, elle se mit à observer le flux des passages.
Au loin, les flammes du campement faisaient valser les ombres. Rassemblés
autour de grands coffres de bois, les hommes s’équipaient et formaient des
bandes. Oulva voyait les lucioles sauvages flotter par essaim. Leur abdomen
éclairait des lambeaux d’architecture, tandis qu’elles tentaient d’échapper aux
filets des carburanciers. Après les Chants, ces battues de chasse étaient courantes :
elles visaient à refournir les véhicules en énergie. A préparer les moteurs
pour les traces suivantes. Tous n’avaient pas la chance de posséder un système fournisseur,
comme celui du Garage Persoq. De fait, cet avantage sophistiqué garantissait
une place sûre aux garagistes. Ils offraient un atout sur l’échiquier du Baron.
Et lui ne les lâcherait pas.
Alors que la cueillette aux lampyres
se poursuivait, la mécanicienne constata soudain que les clients ne réclamaient
plus leur attention. Assis à sa table de travail, Persoq avait repris son
château de cartes. Toutes les carlingues étaient en place, prêtes à la course.
Tous étaient satisfaits. Oulva sourit de plaisir. Une pause ! Enfin !
Sur la pointe des pieds, elle trotta
jusqu’à sa couche-cabine. Ses doigts ouvrirent d’une simple pression le bagage en
bouleau. A l’intérieur, enveloppé dans le cuir, trônait son bien le plus
précieux : l’oud. Un luth
sudiste. Elle caressa avec révérence l’instrument, bénissant mille fois sa
magie vibratoire, sa courbe dorée. Car il était né des arbres qu’Oulva ne
connaîtrait jamais.
Elle devait ce cadeau à un
prêtre-migrateur : un religieux affamé ayant traversé son village des
années auparavant. L’homme délirait de faim et de fièvre. La mère d’Oulva
l’avait purifié par les soins du monde, et accueilli sous son toit comme
invité. La jeune fille se souvenait de son murmure mélancolique, de ce
sentiment si étranger au peuple Boréal… Le prêtre se comportait comme personne.
Pas même comme ses semblables. Son carnet de trace était rempli de gouttes :
il y avait là des pastilles d’encre de poulpe, alignées avec fantaisie sur
quatre lignes. Droites. Et pour les lire, il n’utilisait ni sa voix ni des
mots ! Non… il les incantait. Seul. À travers le canal de l’oud.
Par son séjour, un monde nouveau s’ouvrit
aux horizons d’Oulva. Le voyageur parlait mal la Langue, mais ce fut la musique
qui s’installa entre eux. Les sonorités enfantées par les cordes leur offraient
un espace d’échanges, d’histoires illimitées. Une transaction humaine s’opéra.
Par cet apprentissage, la future mécanicienne put découvrir l’imaginaire des
peuples d’équateur : les cosmologies, saveurs, rythmes. Et surtout –
surtout ! - elle fut instruite au miracle de la Voix. Cette révolution
mystique qui secouait les puissants, d’un bout à l’autre des contrées du sud.
Le prêtre lui parla longtemps de la Cité-Sirène. De son émersion des eaux,
trois hivers plus tôt. De cette mélopée puissante qui rendait fous les
troubadours. De la longue nuit qui avait fracassé les sols, et réveillé les
monts de feu. L’avènement par milliers des lucioles. Cette longue nuit qui
durait toujours, encore et encore, dans les Terres Méridionales.
Ce fut alors qu’Oulva comprit ce
qu’était la nostalgie. Elle comprit le tempérament des prêtres, leur tristesse
terrible de drogués du soleil. Maintenant que leur grand astre avait disparu,
tous leurs espoirs se fondaient sur le mystère des mystères : la Voix. La
Chanson de la Cité-Sirène. S’ils parviennent jusqu’à Elle, pourront-ils obtenir
le retour de la lumière ?
La jeune fille ne partageait pas ces
croyances. C’était normal. Les îles du Nord n’avaient jamais connu la toucher
de l’étoile chaude. Et pour les boréaux, la longue nuit des sudistes ne
différait pas d’un cycle entier d’unnuaq. Oh, bien sûr, ils en avaient
ressenti les secousses ! Mais les igloos avaient tenu, et le Peuple
continuait de vivre. Il ne leur fallait rien de plus. Cependant, Oulva rêva
longtemps aux récits du religieux. Lors de la pêche, lors des travaux de
tuyauterie, elle chantait aux nuages des airs de sa composition. Au terme de
son séjour, quand l’homme quitta la toundra, il lui offrit le oud. Un présent digne d’une vie.
Lorsque les neiges fondirent une
nouvelle fois, Oulva quitta le village pour ne plus y revenir.
Secouant sa mémoire, elle revint
s’assoir sous le porche. L’artefact serré sur sa poitrine. Persoq ne bougeait
plus d’un souffle, concentré. La mécanicienne se cala contre une carlingue et
pinça les cordes. Le luth libéra sa magie. Pendant un temps, l’atmosphère
poussiéreuse fut chassée du garage. La musique vibrait dans tous les pores de
la nuit. Parmi ceux qui l’entendirent, les cœurs des brigadiers reniflèrent, surpris
par l’émotion. Ce n’était pas la Voix. Elle n’en avait pas les enjeux, et
c’était très bien ainsi.
Tandis qu’elle jouait, Oulva
scrutait les bas-reliefs. Toutes ses pensées volaient vers la Voix. Elle se
demanda si elle jouerait pour elle un jour, lorsque le Baron remporterait la
course… Oui, beaucoup de choses changeraient lorsque l’homme élu réclamerait la
Cité-Sirène.
Tout à coup, au détour d’une
artère, la mécanicienne hoqueta : elle venait d’apercevoir une lueur !
Un bouton incandescent, de basse intensité, se déplaçait vers le garage, dans
la direction opposée à celle du bivouac. Un éclaireur baronnial ? Elle n’en
était pas sûre. Bientôt, la tâche luisante se fit plus vive, sans pour autant
changer de taille. Un bruit de grincement accompagnait sa progression. Le
palpitant d’Oulva battait, fracassait la mesure. Elle aurait dû appeler le
patron. Lui dire d’agir, que quelque chose tournait vinaigre. Mais la peur lui
enclumait le thorax, et elle ne laissa rien sortir. Sur le seuil, la boréale attendit.
Douze pulsations plus tard, une
figure se dégagea de la pénombre. Elle traînait en laisse son véhicule.
« Jolie mélodie. Vous êtes
mécano ? »
D’emblée, Oulva toisa le profil
piteux de sa carlingue : un naufrage ! Complètement déglinguée !
Carène éventrée, cabestan et cockpit trucidés, la fiole à lampyres
hors-circuit, et une myriade lamentable d’autres tares… C’était désespéré. Pendant
une minute, elle dressa à l’œil le bilan des chocs. L’apparition patienta, sans
bruit. Ce ne fut qu’après l’examen du navire qu’elle lui accorda son regard.
Les pas de Persoq se rapprochèrent dans son dos, en soutien. L’homme face à eux
était quelconque et fatigué. Mais c’était un métèque. Un étranger.
« Aingai, monsieur séide. Quel
est votre équipage ? »
Le salut du patron évoquait le tumulte de l’eau, expulsée
sur un rivage. Le voyageur se gratta la barbe, la tête, secouant la poussière
de ses cheveux.
« Aucune allégeance, maître garagiste. Je suis
seul.
— Seul ? »
La bouche de Persoq roula en rictus.
« Vous
êtes aventurier ? »
L’homme plongea ses yeux dans ceux d’Oulva. Ils étaient sombres,
mais ne cachaient aucun sentiment. Rien. Pas de voile, pas de loyauté féroce
envers un couronné. Aucune ruse. C’était peu courant.
« Aventurier ? Oui, sans doute. »
Il s’étira en grimaçant. Ses
mains se portèrent à son dos, comme s’il voulait soulager ses lombaires. Son
manteau bleu, long et sale, ondula près du sol.
Persoq se récurait le nez.
« Mon véhicule est en panne, reprit l’étranger, et je
suis à sec de lucioles. Vous êtes bien garagiste ?
— L’un des meilleurs, monsieur. Persoq Tol’nak, de
l’Artisanat Lampyre. Vilain libre. Indépendant. Mon établissement est
actuellement rattaché au sillage du Baron, navigateur élu.
— Alors je ne pouvais pas mieux tomber. Monsieur Persoq, j’aimerais
recourir à votre expertise, faire réparer cet engin. Vous pouvez vous en
charger ? Votre fille et vous ?
— Pardon ?
— Euh… la petite. Elle est bien de chez vous ? »
La teinte du mécano tourna crémasse.
Oulva crut qu’il allait broyer l’imprudent, mais le patron ne desserra pas les
bras. Ni les dents.
« C’est mon employée. Ses affaires sont les miennes, et
mes affaires ne vous regardent en rien.
— Bien sûr. Excusez-moi. »
La moustache du mécanicien se calma.
« Ce n’est rien, carlingueur. La neige est déjà
ancienne… »
Poings sur les hanches, Persoq se
regonfla d’importance et dandina vers la carlingue.
« Dites-donc ! Il a pris une sacrée rouste, votre
esquif ! Vous aviez un copilote ?
— Non, personne.
— Hum… Ça explique peut-être les dégâts…
— Oh, j’avoue ne pas avoir la conduite facile, maître. Mais… »
Le métèque baissa la voix.
« Disons que j’ai fait des rencontres sur
la route. Et toutes n’ont pas été plaisantes. Je suis sûr que vous comprenez. »
Le patron hocha du chef, sans vraiment l’écouter. Son esprit
tirait déjà les comptes.
« Vous avez eu de la chance de tomber sur nous ! Ici,
le Baron étend sa protection aux clients de ses employés. Et pour le juste
prix, la gamine et moi pouvons vous retaper ça d’ici le prochain pet de
Voix !
— Oh, bordel !
Persoq, non ! explosa Oulva
— Quoi ? Comment tu oses causer, toi ? Devant un client
en plus ?
— Client ou mendiant, j’en ai ma claque ! On vient de
trimer pendant des heures sur les carlingues des baronniers, et tu veux
remettre le couvert ? J’ai besoin de dormir, et je me salirai pas les
mains une seconde de plus. »
Le patron était rouge. Il fit mine de brandir sa paluche,
mais s’arrêta à mi-chemin sous le regard de l’étranger. Le voyageur ne pipait
mot, figé dans l’attente. Malgré sa politesse, il semblait amusé.
— Je vous pose souci, maître ?
L’exploitant garagiste essaya de reprendre contenance.
— Non, je… Pardonnez nos manières, monsieur. Nous allons
trouvez une solution. Cela dit, avant d’aller plus loin, je vais vous demander
d’allonger vos métaux. Question de confiance, vous comprenez.
— Bien entendu. »
L’homme au manteau tira de sa poche une bourse, bien large, charnue,
qu’il déposa entre les paumes de Persoq.
« Ça suffira ? »
Le patron a carré des yeux. Oulva le vit compter avec
frénésie : c’était trop. Beaucoup trop. Mais bien sûr, elle n’y pouvait
rien. C’était trop important. Elle n’allait pas perdre son travail pour
préserver les économies d’un étranger. Tant pis pour lui. En silence, elle regarda Persoq empocher le
tout, fier comme s’il avait inventé la pluie.
« Quel est votre nom, voyageur ? Pour le
registre ?
— Lionel Corvini. Sans rien derrière. »
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