La Cité Sirène (extrait)


              
Abyme (21), gravure de Gérard Trignac



I


« Oulva, la turbine ! Magne-toi la dershka, vite ! »

Pas besoin de lui dire.

De haut en bas, les doigts assombris de suie s’affairaient. Plongés aux entrailles de l’engin, ils maintenaient la lutte. Le moteur à lucioles lui, crachait avec entrain. Sa révolte était forte. Dans un concert de bruissements, il mollardait son fiel à tout va, en direction de l’air libre. Le visage de l’adolescente en était recouvert. Sans relâcher la pression, elle ignora de son mieux les coulées de lumière liquide qui lui beurraient les joues.
La voix velue de Persoq résonna depuis le cockpit.
« Une minute avant l’heure du Chant ! Je te jure que si on loupe le démarrage, je te coupe les rations pour la semaine ! »
Coup de clé. Le crachin du moteur hésita, puis se changea en ronronnement. Ils étaient prêts ! Soulagée, Oulva détendit les épaules et s’allongea au sol. Il ne fallait pas manquer ce moment. Progresser dans l’immense Cité n’était possible qu’une fois par jour. Soixante minutes. Un seul tour de cadran. Le garage mouvant fit une embardée.
« Accroche ta salopette, la naine !»
Oulva n’avait jamais compris l’agressivité de Persoq. Le patron déballait les insultes comme un vendeur de bazar, sans finalité aucune. Une personnalité « rude mais honnête », disaient les prêtres. Mais c’était faux. Devant Oulva, Persoq se comportait comme un con. Avec les clients aussi.  Avec le Baron et ses nobles également, à condition qu’ils aient le dos tourné. Sa catégorie de connerie ? Méchant poids lourd ! Soixante-quinze kilos de bêtise pure. Par chance, Persoq était d’une méchanceté simple. Inconsistante. Ce qui changeait tout. Car jamais le garagiste n’avait touché son employée. Jamais il ne l’avait abandonnée dans les dédales, kilométriques et déstructurés, de la Cité-Sirène. Aux yeux de la jeune boréale, c’était déjà bien. Presque enviable. Son quotidien puait le terne, mais au moins, elle avançait.
Il y eut un instant de vide. Sous la cloche du réacteur, les lucioles murmuraient. Toujours étendue à terre, la mécanicienne laissa ses muscles s’apaiser. Les secondes coulèrent en traversant le monde. Paisibles.
Puis, d’un coup, le silence fut percé. Absorbé par l’harmonie. Oulva frémit. C’était l’heure de la Voix !
Dés les premières notes, Persoq explosa l’accélérateur. Plus rien n’existait. Plus rien de tangible. Le garage motorisé oscilla, mordant la piste. Les sentiers de la Cité défilaient par le hublot, révélant tout un réseau d’entrelacs urbains, déments de taille comme d’esprit. Une géométrie folle ! Toute remplie d‘arcs et de ponts sphériques. Voyager en son sein fleurait l’impossible. Ou presque ! Car pour s’orienter dans ce labyrinthe, il n’existait pas d’autre boussole que la Voix… et la Voix ne chantait qu’une heure par jour.  Aucun humain n’aurait pu y vivre. Aucune humanité n’avait pu la concevoir. La Cité-Sirène se tenait pourtant parmi eux : déserte, moqueuse et vive. Éternelle.
A la tête du cortège, la bannière du Baron flottait comme une flamme.
Les lampyres sauvages s’écartaient sous les roues de la horde, et toutes suivaient son sillage.
Oulva regarda longtemps par la fenêtre. La Voix pénétrait toutes ses fibres. Elle se sentait amoureuse. Depuis le début, elle vibrait à l’unisson. Depuis l’aube des soirs au campement zéro, les premières gouttes du Chant ne l’avaient jamais quittée. Cela faisait deux ans qu’elle servait sous le pavillon de Persoq. Deux ans qu’elle supportait ses railleries. Sept-cent-trente jours qu’ils couraient aux basques du Baron, homme-compas inépuisable. Les garagistes n’appartenaient pas à son clan, mais l’homme avait la faveur des prêtres. Aussi, ils proposaient leurs services. Gagnaient ses grâces. Ils bradaient le tarif et les temps de leur mécanique en échange d’une protection tacite. Et d’un guide. Car la course à la Voix durait depuis plus de dix ans, et désormais, la Cité-Sirène ressemblait à un gros grouillis de canailles. L’impossibilité d’en cartographier les quartiers la rendait difficilement occupable, favorisant l’activité économique des coupe-gorges.  Ainsi, les explorateurs esseulés se faisaient rares. Ils voyageaient le plus souvent balisés, se rattachant dès que possible aux caravanes couronnées. Ils suivaient le mouvement des élites. Et priaient pour une récolte de miettes à leur table. Persoq était l’un de ceux-là : un misérable plus ventru que la moyenne. Résolu comme un bœuf à servir de support, tant qu’il pourrait en tirer profit.
Le flot de pensée fut interrompu par une nouvelle modulation de la Voix : on approchait du dernier quart d’heure. Le Baron et sa cour serrèrent les virages en frénésie. Avec difficulté, le patron du garage leur emboita la trace.

« Oulva ! Déploie le filet, vite ! Faut qu’on gagne du jus ! 
— Bien reçu ! »
Tandis que le hangar tanguait à en vomir, la jeune fille se hissa aux rebords d’une paroi. Elle frappa sec du poing, sur un bouton en sanguine. Aussitôt, une rumeur de poulies lui signala l’activation d’une trappe à l’extérieur. Le vent s’engouffra dans le garage. Les insectes capturés commencèrent à tomber dans l’entonnoir. Le réservoir à lampyres se gorgea d’énergie. Persoq hulula, couvrant le son des moteurs renouvelés.
Maintenant, la Voix tirait son chant du cygne. L’extase était si terrifiante qu’Oulva se boucha les oreilles, le cœur battant à tout rompre. Comprimée par une ivresse trop grande, elle pleura à verse. Elle pleura d’amour.
Et ce fut tout.
Précise comme l’horlogerie des sudistes, la Voix éteignit sa complainte. Il était minuit aux heures des voyageurs. Il était ullulluaq, selon le rythme des anciens. La navigation n’irait pas plus loin pour ce cycle. Persoq sevra le moteur, et les lucioles s’endormirent. En s’extirpant de la cabine, il traîna des jambes jusqu’au hublot. Il n’eut aucun regard pour son employée. Dehors, les hommes du Baron dressaient déjà les feux. Leurs véhicules tournés en cercle formaient une protection solide, semblable aux murs d’une forteresse.
« Je vais garer notre engin à la distance sécuritaire. On ouvre boutique !
— Hein ? Mais...
— Ho ! La naine ! Est-ce que je te paye pour parler ?
— Non, mais…
— EST-CE QUE JE TE PAYE POUR OUVRIR TA SALE PETITE BOITE A FOUTRE ?
— Déjà que vous me payez pas grand-chose, patron…
— Pas grand-chose, c’est déjà un salaire ! Alors estime-toi heureuse !
— Mais on ne va pas ouvrir le garage juste après le Chant ! Vous savez très bien que tout le monde est épuisé. Personne de chez le Baron ne va venir réparer sa carlingue au terminus d’une trace !
— C’est là où tu te fous l’obsidienne au cul, ma petite. Parce que moi, j’ai vu la bécane du brigadier Imnek se ramasser un mur dans la dernière accélération. Hé oui !  C’est tout juste s’il arrivait à tenir le rythme ! Le réservoir latéral a dû subir une avarie. Donc, impossible de laisser traîner un truc pareil, sinon c’est toute la cour qui va subir. Le Baron le fumerait sur le champ… Alors je te parie ma couille à la Voix qu’il va se pointer comme une fleur, sitôt qu’on aura rallumé l’enseigne.
— D’accord, mais…
— Maiiis maiiis ! T’as que ça à frire, merdaillon ? Remercie que tu sois au moins douée avec la mécanique ! Sinon y’a bien longtemps que je t’aurais refourguée aux p’tits gars du Concubin. Tu voulais l’aventure ? T’en avais marre de vivre avec les vieux croutons sous ton igloo ? Hé ben voilà ! En avant la musique ! »
Il a continué à barboter dans ses propres discours. Longtemps. Quand Oulva s’éclipsa sans répondre, Persoq ne la remarqua pas. Comment pouvait-on aimer autant le fracas de sa propre langue ? Résignée, l’adolescente boréale s’attela aux préparatifs du hangar. Lorsqu’il eut épuisé le filon de sa logorrhée, Persoq déplaça enfin le garage, à soixante mètres du bivouac voisin. Dès qu’ils furent stabilisés, Oulva déverrouilla le portail et mit en route les panneaux luminescents. En la voyant debout sur l’embrasure, les séides baronniaux lui adressèrent des saluts depuis leurs tentes. Tout autour, la Cité-Sirène les enveloppait, majestueuse, de son mutisme.


II


     La poussière des carlingues rendait l'air étrange, presque mortuaire. Jadis, les poumons d'Oulva avaient l'habitude du gel. Des vents contraires qui assassinent le souffle. Mais ici ? Tout respirait la tombe. Depuis des heures, les brigadiers du Baron défilaient sous le porche du garage. Persoq gueulait dans tous les sens et ne foutait rien, comme d'habitude. Il a touché une ou deux fois la soudeuse. Par pure symbolique. Sa bedaine sèche se pavonnait d'avant en arrière tandis qu'il distribuait et entassait ses ordres. Le patron n'était pourtant pas incompétent. Mais la cour qu'il faisait au Baron avait rouillé son œil, et son esprit technique. La gloire l'égarait de jour en jour, Chant par Chant.

L'adolescente boréale posa un instant sa clé. Depuis l'auvent du garage, elle se mit à observer le flux des passages. Au loin, les flammes du campement faisaient valser les ombres. Rassemblés autour de grands coffres de bois, les hommes s’équipaient et formaient des bandes. Oulva voyait les lucioles sauvages flotter par essaim. Leur abdomen éclairait des lambeaux d’architecture, tandis qu’elles tentaient d’échapper aux filets des carburanciers. Après les Chants, ces battues de chasse étaient courantes : elles visaient à refournir les véhicules en énergie. A préparer les moteurs pour les traces suivantes. Tous n’avaient pas la chance de posséder un système fournisseur, comme celui du Garage Persoq. De fait, cet avantage sophistiqué garantissait une place sûre aux garagistes. Ils offraient un atout sur l’échiquier du Baron. Et lui ne les lâcherait pas.

Alors que la cueillette aux lampyres se poursuivait, la mécanicienne constata soudain que les clients ne réclamaient plus leur attention. Assis à sa table de travail, Persoq avait repris son château de cartes. Toutes les carlingues étaient en place, prêtes à la course. Tous étaient satisfaits. Oulva sourit de plaisir. Une pause ! Enfin !

Sur la pointe des pieds, elle trotta jusqu’à sa couche-cabine. Ses doigts ouvrirent d’une simple pression le bagage en bouleau. A l’intérieur, enveloppé dans le cuir, trônait son bien le plus précieux : l’oud. Un luth sudiste. Elle caressa avec révérence l’instrument, bénissant mille fois sa magie vibratoire, sa courbe dorée. Car il était né des arbres qu’Oulva ne connaîtrait jamais.

Elle devait ce cadeau à un prêtre-migrateur : un religieux affamé ayant traversé son village des années auparavant. L’homme délirait de faim et de fièvre. La mère d’Oulva l’avait purifié par les soins du monde, et accueilli sous son toit comme invité. La jeune fille se souvenait de son murmure mélancolique, de ce sentiment si étranger au peuple Boréal… Le prêtre se comportait comme personne. Pas même comme ses semblables. Son carnet de trace était rempli de gouttes : il y avait là des pastilles d’encre de poulpe, alignées avec fantaisie sur quatre lignes. Droites. Et pour les lire, il n’utilisait ni sa voix ni des mots ! Non… il les incantait. Seul. À travers le canal de l’oud.

Par son séjour, un monde nouveau s’ouvrit aux horizons d’Oulva. Le voyageur parlait mal la Langue, mais ce fut la musique qui s’installa entre eux. Les sonorités enfantées par les cordes leur offraient un espace d’échanges, d’histoires illimitées. Une transaction humaine s’opéra. Par cet apprentissage, la future mécanicienne put découvrir l’imaginaire des peuples d’équateur : les cosmologies, saveurs, rythmes. Et surtout – surtout ! - elle fut instruite au miracle de la Voix. Cette révolution mystique qui secouait les puissants, d’un bout à l’autre des contrées du sud. Le prêtre lui parla longtemps de la Cité-Sirène. De son émersion des eaux, trois hivers plus tôt. De cette mélopée puissante qui rendait fous les troubadours. De la longue nuit qui avait fracassé les sols, et réveillé les monts de feu. L’avènement par milliers des lucioles. Cette longue nuit qui durait toujours, encore et encore, dans les Terres Méridionales.
Ce fut alors qu’Oulva comprit ce qu’était la nostalgie. Elle comprit le tempérament des prêtres, leur tristesse terrible de drogués du soleil. Maintenant que leur grand astre avait disparu, tous leurs espoirs se fondaient sur le mystère des mystères : la Voix. La Chanson de la Cité-Sirène. S’ils parviennent jusqu’à Elle, pourront-ils obtenir le retour de la lumière ?

La jeune fille ne partageait pas ces croyances. C’était normal. Les îles du Nord n’avaient jamais connu la toucher de l’étoile chaude. Et pour les boréaux, la longue nuit des sudistes ne différait pas d’un cycle entier d’unnuaq. Oh, bien sûr, ils en avaient ressenti les secousses ! Mais les igloos avaient tenu, et le Peuple continuait de vivre. Il ne leur fallait rien de plus. Cependant, Oulva rêva longtemps aux récits du religieux. Lors de la pêche, lors des travaux de tuyauterie, elle chantait aux nuages des airs de sa composition. Au terme de son séjour, quand l’homme quitta la toundra, il lui offrit le oud. Un présent digne d’une vie.
Lorsque les neiges fondirent une nouvelle fois, Oulva quitta le village pour ne plus y revenir.

Secouant sa mémoire, elle revint s’assoir sous le porche. L’artefact serré sur sa poitrine. Persoq ne bougeait plus d’un souffle, concentré. La mécanicienne se cala contre une carlingue et pinça les cordes. Le luth libéra sa magie. Pendant un temps, l’atmosphère poussiéreuse fut chassée du garage. La musique vibrait dans tous les pores de la nuit. Parmi ceux qui l’entendirent, les cœurs des brigadiers reniflèrent, surpris par l’émotion. Ce n’était pas la Voix. Elle n’en avait pas les enjeux, et c’était très bien ainsi.
Tandis qu’elle jouait, Oulva scrutait les bas-reliefs. Toutes ses pensées volaient vers la Voix. Elle se demanda si elle jouerait pour elle un jour, lorsque le Baron remporterait la course… Oui, beaucoup de choses changeraient lorsque l’homme élu réclamerait la Cité-Sirène.
Tout à coup, au détour d’une artère, la mécanicienne hoqueta : elle venait d’apercevoir une lueur ! Un bouton incandescent, de basse intensité, se déplaçait vers le garage, dans la direction opposée à celle du bivouac. Un éclaireur baronnial ? Elle n’en était pas sûre. Bientôt, la tâche luisante se fit plus vive, sans pour autant changer de taille. Un bruit de grincement accompagnait sa progression. Le palpitant d’Oulva battait, fracassait la mesure. Elle aurait dû appeler le patron. Lui dire d’agir, que quelque chose tournait vinaigre. Mais la peur lui enclumait le thorax, et elle ne laissa rien sortir. Sur le seuil, la boréale attendit.

Douze pulsations plus tard, une figure se dégagea de la pénombre. Elle traînait en laisse son véhicule.

« Jolie mélodie. Vous êtes mécano ? »
D’emblée, Oulva toisa le profil piteux de sa carlingue : un naufrage ! Complètement déglinguée ! Carène éventrée, cabestan et cockpit trucidés, la fiole à lampyres hors-circuit, et une myriade lamentable d’autres tares… C’était désespéré. Pendant une minute, elle dressa à l’œil le bilan des chocs. L’apparition patienta, sans bruit. Ce ne fut qu’après l’examen du navire qu’elle lui accorda son regard. Les pas de Persoq se rapprochèrent dans son dos, en soutien. L’homme face à eux était quelconque et fatigué. Mais c’était un métèque. Un étranger.
« Aingai, monsieur séide. Quel est votre équipage ? »
Le salut du patron évoquait le tumulte de l’eau, expulsée sur un rivage. Le voyageur se gratta la barbe, la tête, secouant la poussière de ses cheveux.
« Aucune allégeance, maître garagiste. Je suis seul. 
— Seul ? »
La bouche de Persoq roula en rictus.
       « Vous êtes aventurier ? »
L’homme plongea ses yeux dans ceux d’Oulva. Ils étaient sombres, mais ne cachaient aucun sentiment. Rien. Pas de voile, pas de loyauté féroce envers un couronné. Aucune ruse. C’était peu courant.
« Aventurier ? Oui, sans doute. »
Il s’étira en grimaçant. Ses mains se portèrent à son dos, comme s’il voulait soulager ses lombaires. Son manteau bleu, long et sale, ondula près du sol.   
Persoq se récurait le nez.
« Mon véhicule est en panne, reprit l’étranger, et je suis à sec de lucioles. Vous êtes bien garagiste ? 
— L’un des meilleurs, monsieur. Persoq Tol’nak, de l’Artisanat Lampyre. Vilain libre. Indépendant. Mon établissement est actuellement rattaché au sillage du Baron, navigateur élu.
— Alors je ne pouvais pas mieux tomber. Monsieur Persoq, j’aimerais recourir à votre expertise, faire réparer cet engin. Vous pouvez vous en charger ? Votre fille et vous ?
— Pardon ?
— Euh… la petite. Elle est bien de chez vous ? »
La teinte du mécano tourna crémasse. Oulva crut qu’il allait broyer l’imprudent, mais le patron ne desserra pas les bras. Ni les dents.
« C’est mon employée. Ses affaires sont les miennes, et mes affaires ne vous regardent en rien.
— Bien sûr. Excusez-moi. »
La moustache du mécanicien se calma.
« Ce n’est rien, carlingueur. La neige est déjà ancienne… »
Poings sur les hanches, Persoq se regonfla d’importance et dandina vers la carlingue.
« Dites-donc ! Il a pris une sacrée rouste, votre esquif ! Vous aviez un copilote ?
— Non, personne.
— Hum… Ça explique peut-être les dégâts…
— Oh, j’avoue ne pas avoir la conduite facile, maître. Mais… »
Le métèque baissa la voix.
  « Disons que j’ai fait des rencontres sur la route. Et toutes n’ont pas été plaisantes. Je suis sûr que vous comprenez. »
Le patron hocha du chef, sans vraiment l’écouter. Son esprit tirait déjà les comptes.
« Vous avez eu de la chance de tomber sur nous ! Ici, le Baron étend sa protection aux clients de ses employés. Et pour le juste prix, la gamine et moi pouvons vous retaper ça d’ici le prochain pet de Voix !
 — Oh, bordel ! Persoq, non ! explosa Oulva
— Quoi ? Comment tu oses causer, toi ? Devant un client en plus ?
— Client ou mendiant, j’en ai ma claque ! On vient de trimer pendant des heures sur les carlingues des baronniers, et tu veux remettre le couvert ? J’ai besoin de dormir, et je me salirai pas les mains une seconde de plus. »
Le patron était rouge. Il fit mine de brandir sa paluche, mais s’arrêta à mi-chemin sous le regard de l’étranger. Le voyageur ne pipait mot, figé dans l’attente. Malgré sa politesse, il semblait amusé.
— Je vous pose souci, maître ?
L’exploitant garagiste essaya de reprendre contenance.
— Non, je… Pardonnez nos manières, monsieur. Nous allons trouvez une solution. Cela dit, avant d’aller plus loin, je vais vous demander d’allonger vos métaux. Question de confiance, vous comprenez.
— Bien entendu. »
L’homme au manteau tira de sa poche une bourse, bien large, charnue, qu’il déposa entre les paumes de Persoq.
« Ça suffira ? »
Le patron a carré des yeux. Oulva le vit compter avec frénésie : c’était trop. Beaucoup trop. Mais bien sûr, elle n’y pouvait rien. C’était trop important. Elle n’allait pas perdre son travail pour préserver les économies d’un étranger. Tant pis pour lui.  En silence, elle regarda Persoq empocher le tout, fier comme s’il avait inventé la pluie.
« Quel est votre nom, voyageur ? Pour le registre ?
— Lionel Corvini. Sans rien derrière. »

Commentaires

Mon Instagram