Carnet d'écriture pour "La Cité-Sirène"

La Cité Abandonnée, par Raoul Giordan


Fiche technique


Titre : La Cité-Sirène
Genre : Nouvelle d'Imaginaire (sous-genre difficile à définir...)
Chiffres :   20 Pages, 8936 Mots

Contexte de rédaction : Une nouvelle écrite à l'occasion du 35ème Prix du Jeune Écrivain en langue française.

Statut :  Nouvelle disponible à la lecture, dans sa version 2 
(qui sera entièrement remaniée un jour !). C'est juste ici. :)

* Refusée par le PJE le 25 juillet 2019. Les comités de lecture ont sélectionné 28 nouvelles sur 1053 candidats, qu'ils ont ensuite transmis au Jury pour la sélection finale. Malheureusement, "La Cité-Sirène" n'est pas arrivée jusque-là.

** En correction/révision pour la proposer au Prix Jean-Champetier (IV Edition), organisé par la revue Solaris.

*** Refusée par Solaris le 09/10/2019.



L'intrigue

La Cité-Sirène. Une cité de titans, émergée des eaux. Kilimandjaro urbain. Miraculeuse et effrayante dans sa géométrie, dans ses proportions gargantuesques et dans ses kilomètres interminables d'arches et de dalles. Sans oublier la poussière, les lucioles sauvages, les structures de vertiges... Et puis la Voix. La Voix ! La Voix qui chante une heure par jour, depuis le Centre de la Cité : une seule heure avant de s'éteindre.
Pour les milliers d'explorateurs qui sillonnent la ville tentaculaire, la Voix est à la fois boussole et destination. Impossible de naviguer dans le dédale urbain sans son aide. S'orienter sans Voix relève du suicide.

Dans le garage-mouvant de l'Artisan Persoq, Oulva la boréale trime dur. La mécanicienne enchaîne les réparations des carlingues : celles des autres, celles des grands équipages.

Mais bien que collée au bas de l'échelle, elle poursuit à sa manière le rêve des explorateurs : être la première à découvrir la Voix. Sa nature, son visage, son origine.

Seulement qu'un soir, un voyageur un peu paumé débarque au garage. Sa carlingue est en morceaux, et sa seule présence sème malaise et mystères...
Pour la jeune Oulva, l'heure est venue. S'élever et rêver ? Ou retomber en poussière ?


Les Inspirations


# 1

                 L'Appel de Cthulhu, d'H.P Lovecraft




L'inspiration est évidente. Dans les littératures de l'Imaginaire, il est très difficile de passer à côté du météore Lovecraft, ou en tout cas, de son univers tentaculaire (sans offense, mister Chtulhu !). Ses visions d'horreur cosmiques ont influencé des générations successives d'auteurs, y compris ceux bien installés en littérature dite "blanche" (Michel Houllebeq, pour ne citer que lui).

La Cité-Sirène est basée sur R'lyeh. Mais j'ai voulu en offrir une version plus douce. "Neutre" en quelque sorte. Dans la nouvelle de Lovecraft, on trouve une description très bien fichue qui impacte directement la représentation mentale du lecteur. L'écrivain mentionne "une géométrie non euclidienne" faite de blocs verdâtres, d'imageries horribles de taille cyclopéenne. Une lueur angoissante qui pervertit même la lumière du soleil. En une page, on nous décrit des êtres humains échoués dans un espace qui n'est pas fait pour eux. S'aventurer plus loin c'est se perdre...  et la connaissance de la vérité vaut-elle la folie ?

La Cité-Sirène emploie le même procédé, la même problématique. Des humains voyagent vers l’œil du cyclone, fascinés par le phénomène mystique et déterminés à en découvrir la nature. Quitte à sacrifier leur vie, ainsi que l'espoir d'un retour à la maison.


# 2

                    Tomboy, par INÜIT




La conception de l'héroïne (Oulva), et des premières pages de l'intrigue découlent directement de la chanson d'INÜIT (groupe d'électro-pop-indé-tribale nantais). Et plus particulièrement du clip vidéo qui l'accompagne, réalisé par Simon Noizat. La mélancolie du chant, l'espoir de vie et d'évasion de la protagoniste ont fait écho en moi, donnant naissance à cette idée de "road-trip lovecraftien doux". Evidemment, les thématiques traitées dans la Cité-Sirène sont différentes du morceau d'INÜIT. L'inspiration est puisée surtout au niveau des personnages, des couleurs et de l'ambiance générale.

Le choix d'employer des mots en inukitut, ainsi que des éléments de la culture inuit, est lié à deux raisons : d'abord un clin d’œil supplémentaire au groupe nantais (facile !). Ensuite, une occasion de faire partager le parfum de cette culture si singulière, assez méconnue dans nos régions.

Ainsi, Oulva et Persoq sont des mécaniciens venant des Contrées Boréales. Il réparent des voitures qui carburent à l'énergie lampyre (lucioles), pour le compte d'équipages "sudistes" (myriade informe d'autres peuples, dont certains membres sont assez riches pour financer des expéditions vers le cœur de la Cité). J'aimais bien le fait d'employer des héros émigrés, sortis de leur contexte socio-culturel et forcés de collaborer avec d'autres peuples, dans le seul but de percer le mystère d'une cité surnaturelle, "extraterrestre". Il n'y a que des étrangers dans la Cité-Sirène : mais les étrangers entre eux se serrent les coudes autant qu'ils se divisent.

Comme dans le clip de Tomboy, l'élément perturbateur est un voyageur solitaire venu faire réparer son véhicule.



# 3

                  Mad Max : Fury Road, de George Miller

Affiche du film, par Killian Eng

Je ne suis absolument pas familier avec la saga Mad Max. Comme pas mal de gens, je n'ai vu que le dernier opus en date, baptisé "Fury Road".
L'idée des équipages nomades naviguant en "carlingue" est venue de ce film. La horde d'antagonistes reste presque tout le temps en voiture, poursuivant les héros qui eux sont à la recherche de la liberté, de l'eau, d'une terre promise. J'ai renforcé l'aspect féodal qui se trouvait déjà dans le long-métrage, à travers le langage des personnages et la figure du "Baron" (une version nettement plus gentillette du seigneur "Immortan Joe").


Critiques sur la première mouture


# 1  

 Fiche de lecture du PJE


35e PRIX DU JEUNE ÉCRIVAIN
DE LANGUE FRANÇAISE


Numéro du texte : 420 Numéro du comité : 54
Responsable (prénom + initiale du nom) : Marie, Claire V
Titre : La Cité-Sirène Co-lecteur(s) (prénom(s) ou classe) : Isaline, Laure, Anne, Fanny N


Votre fiche de lecture

Votre longue et dense nouvelle appartient au genre littéraire de la « fantasie » (ou « fantazy »), genre particulièrement prisé des jeunes actuellement : c’est donc un conte. Le choix du genre est risqué – tout le monde n’est pas Tolkien ! - car il suppose la création d’une mythologie cohérente, qui emprunte aussi bien à la science-fiction qu’à la légende et à la chevalerie médiévale.
Bien conduit, votre conte emmène effectivement le lecteur dans un monde étrange, à la suite de votre héroïne, la jeune et étonnante Oulva. Vous savez éveiller et entretenir l’intérêt : votre texte se lit d’une traite. Mais, une fois terminée, l’histoire touffue qu’il raconte, arbre aux multiples branches, ne nous a pas donné toutes les réponses aux questions qu’elle nous pose.
Selon les codes du conte, le monde et les personnages créés doivent échapper à notre notion du rationnel, sans pour autant rompre totalement avec notre monde et ses lois ni avec les êtres que nous sommes. C’est une gageure, d’autant plus difficile à tenir que le genre littéraire choisi suppose à la fois emprunts au passé et anticipation. Vous n’y réussissez pas si mal !
Dans l’univers que vous créez, les contrées du nord, boréales, ont été coupées des contrées méridionales par on ne sait quel bouleversement, et le cadre précis de la narration est cette labyrinthique Cité-Sirène, sortie des eaux, où « règne » «la Voix ». De cette dernière, entité mystérieuse et sacrée, s’élève à heures fixes un chant qui régit les cycles du temps et les déplacements des habitants. Et bien sûr, vous mettez en scène un héros – ici, une héroïne – dont nous suivrons la quête.
Vous faites preuve d’une riche invention : votre conte installe une société de type médiéval, avec ses hiérarchies, prêtres, baron et vassaux, société où sévissent rivalités et conflits. Votre début in medias res nous introduit directement dans la vie qu’on y mène : celle-ci, occupée principalement à une course vers la Voix, est entrecoupée de « campements ». Les engins que vous imaginez tiennent moins de l’anticipation que de l’écologie et de la poésie. Véhicules plus ou moins fatigués, à carlingue et à cockpit, ils fonctionnent aux lucioles ou aux lampyres, leur source d’énergie : jolie trouvaille ! Pour que votre lecteur adhère à cet imaginaire, vous émaillez votre récit de détails qui corroborent vos inventions.
Divisée en chapitres, votre narration, en focalisation interne, s’attache au personnage d’Oulva et à ce qui lui arrive.
Même si vous ne vous perdez pas en analyse psychologique, vos personnages existent : Oulva, la jeune « boréale », n’est pas une de ces héroïnes de conte, mièvres et évanescentes : mécanicienne douée, elle est l’employée compétente et exploitée d’un garagiste, patron tyrannique et vulgaire, bien typé. La personnalité affirmée de la jeune fille, mieux campée encore, nous convainc. Votre héroïne va mettre son énergie à partir en quête de la Voix, dont le chant l’envahit et l’envoûte ; comme dans les contes, elle sera aidée dans cette quête par un personnage mystérieux, venu du sud, Lionel Corvini, qui lui cédera son épée magique.
On le voit, vous vous êtes efforcé(e) d’amalgamer tous les ingrédients de la « fantaisie » pour que nous entrions auprès d’Oulva dans cette cité-Sirène et y vivions ses aventures.
Mais le plaisir que nous avons pris à vous lire ne va pas sans fortes réserves : nous terminons notre lecture avec un sentiment d’incertitude, voire de frustration. Le dénouement, un peu accéléré, nous déconcerte et nous questionne : à quoi riment le meurtre inattendu d’Oulva et le fatalisme soudain de l’énergique mécanicienne ? Quel rôle exact joue ce Lionel, qui la tue ? Est-il en mission ? Pourquoi cette Voix enchanteresse devient-elle, in extremis, une sorte de Baal, monstre dévoreur : c’est votre liberté d’auteur, certes, mais, sauf l’implicite mythologique du mot Sirène, rien ne le laisse pressentir dans ce qui précède. De cette société multiple, des épisodes contés - rappelés ou vécus - vous ne donnez pas toutes les clés. Les pistes sur lesquelles vous lancez votre lecteur sont si diverses qu’il lui est difficile de retrouver les tenants et les aboutissements de l’histoire : il lui faudra au moins une deuxième lecture pour reconstruire un sens. Par ailleurs, et même si la « fantasie » emprunte à plusieurs sources, vos références mêlent à l’excès les époques et les cultures : l’arabe « séide » côtoie étonnamment le germanique « burgrave » ; la moderne « carlingue » et la « yourte » mongole accueillent un « baron »…
Enfin, moins gratuits qu’il n’y paraît, les contes éclairent à terme certains aspects des relations humaines, débouchent sur une morale : on ne sait pas à quoi tend le vôtre.
Votre goût de l’invention est heureusement servi par un sens averti de la narration et par un style puissant et imagé. Votre récit est mené à grand train, sans inutiles transitions. Vous maîtrisez l’usage alterné de l’ellipse, du retour en arrière, de la scène utile, du dialogue significatif. Votre écriture est percutante : fonctionnant à l’économie, à la pertinence des mots ou à l’impact de l’image, elle vise l’efficacité et y réussit. Vous privilégiez les phrases courtes, laconiques, nominales ou parfois volontairement tronquées. Ex p.2: « Coup de clé. Le crachin du moteur hésita, puis se changea en ronronnement. Ils étaient prêts » ; p.14 : « Oulva cria. Hurla et pleura. C’était si incroyable ! Si intime et sublime qu’elle se sentait toute nue et brisée… Déconstruite. ».Votre lexique, qui appartient à tous les registres, est particulièrement étendu : au service de votre propos, vous faites flèche de tout bois.
L’action progresse sans développements oiseux ; les détails descriptifs saisissent par leur justesse ramassée ; mais si c’est nécessaire, vous prenez le temps d’une description évocatrice, d’un retour en arrière éclairant.
Vos personnages ont le langage de leur personnalité et de leur condition : vous ne reculez pas devant la vulgarité, la grossièreté de Persoq, le garagiste, ni devant la familiarité décomplexée d’Oulva, la mécanicienne.
Votre langue peut aussi adopter un registre plus soutenu (voir, par ex., le passage, p.7 : « Par son séjour, un monde nouveau…dans les terres méridionales ») et, à quelques négligences - ou audaces ? - près (impropriétés :« Carrer des yeux »? ; « tirer son chant » ?), barbarismes (« pavonner » ??), la syntaxe, l’emploi des temps ou l’orthographe sont dans l’ensemble bien contrôlés.
Nos restrictions viennent du fait que votre préférence pour le mot trivial, ou pour le mot inattendu, destiné à frapper, (« L’obésité du bobard »p.15), tourne au procédé. A force de « frapper », vous risquez de ne plus atteindre et, systématisée, la gouaille perd de sa saveur !
Car, même hors discours direct ou indirect, vous abusez d’une familiarité qui tend vers l’argot et frôle parfois la grossièreté : « Dans un concert de bruissement, il [le moteur à lucioles] mollardait son fiel à tout va » p. ; « Le palpitant d’Oulva battait »p. etc... Bien sûr, on peut penser qu’en focalisation interne, narration et description passent par Oulva, dont le langage est rien moins que châtié. L’abus n’en est pas moins regrettable ! Et, dans un excès de « couleur locale », vous vous croyez obligé(e) de prêter à votre « boréale » quelques mots de son idiome (Ullulluaq, aingaï …). Cela porte plutôt à sourire !
L’originalité foisonnante de votre conte ne peut laisser indifférent. Vos indéniables qualités d’imagination et d’écriture ont su construire un univers et donner force de vie à des personnages inventés. Pourtant, si nous avons pris plaisir à vous lire, si, narrateur/-trice avisé(e)), vous avez su nous tenir en haleine, nous sommes restés sur une insatisfaction : entraînés dans cette étrange et trop complexe histoire, étrangers à ce monde « ondoyant et divers », nous avons eu du mal à trouver certaines clés, certains éléments de compréhension. C’est bien dommage !

Assurément, abondance de biens ne nuit pas : pensez seulement à endiguer, à canaliser ce trop-plein et choisissez de meilleurs sujets. Vous maîtrisez l’art de raconter et vous avez ce qu’on appelle « une plume », donc toutes les raisons de continuer à écrire !

# 2 

Autocritique post-mortem


Dans l'ensemble, cette double expérience sur la Cité-Sirène a été bénéfique, malgré le petit sentiment d'échec que j'éprouve à l'écriture de ces lignes. Après, faut être honnête, c'était ma toute première nouvelle d'envergure que j'envoyais vers l'extérieur, dans le vaste monde, et mon inexpérience de narrateur est toujours palpable. Non pas que le travail soit mauvais. Je considère la nouvelle plutôt solide au vu de ma technique actuelle. Enfin, quand je dis "solide"... Selon moi, les défauts majeurs du texte sont :

1/ Le fait d'avoir lié cette histoire au projet Nécrocide (alors que les jurys n'ont évidemment pas connaissance de cet univers !). Erreur fatale pour une nouvelle de concours. Expliquer la présence de Lionel, de l'épée d'empathie, de la fusion des âmes, etc... Ça n'a vraiment pas marché. A éviter rigoureusement à l'avenir et réserver ça pour le roman !

2/ La fin de l'histoire, expédiée parce que je manquais de temps. Défaut qui se retrouve dans les 99,99999 % de mes travaux. C'est pas faute de me l'avoir répété au Master... J'avoue avoir également eu un problème affreux : celui du dépassement des caractères autorisés. Ça a été un désastre sur la version Solaris, qui avait pourtant bénéficié d'une honnête réécriture de chapitre. Mais la fin est tombée à plat, parce que j'avais plus la place de développer le lien identitaire entre Lionel et Oulva. Et ça, ça fait grave de la peine !

Sur la totalité du projet, y'avait sans doute trop d'ambition. Je suis plutôt en accord avec les critiques (et encouragements !) formulés par le PJE. Un retour précieux ! Sauf pour ce qui est du fait d'associer la "fantazy" (mais où diable ont-ils trouvé cet orthographe ?) au conte. La fiche de lecture transpire la méconnaissance du genre, de la diversité de ses courants et de ses acteurs. Tolkien n'a jamais prétendu faire du "merveilleux" d'ailleurs. Ils se reportait toujours aux traditions épiques nordiques, ainsi qu'à la Matière de Bretagne. Et Tolkien est seulement un fragment de ce qui s'est fait en Imaginaire (Neil Gaiman, Moorcock et Ursula K. Le Guin étaient plus proches de la Cité-Sirène que Tolkien, cette fois-ci) Mais bon, y'a pas de blâme ! Le PJE est tacitement plus orienté vers la littérature blanche, et mon jury a fait preuve d'une grande ouverture d'esprit. Je leur en suis très reconnaissant. Une autre chose qui m'a beaucoup touché dans ce retour, c'est la réception très positive du personnage d'Oulva. Ils y ont cru. Ils l'ont sentie "vraie". C'est vraiment génial. Pour le reste, c'est rude sur le moment, parce que je me suis beaucoup investi dans ce projet. J'aimais bien mon univers, mes personnages, mes images. Ça me fait mal de devoir les condamner à l'ombre, sans doute pour un très long moment. Je mets néanmoins à disposition la Cité-Sirène sur ce site. Je prie les lecteurs de bien vouloir tenir compte du fait qu'il s'agit d'une version de travail. Dés que j'en retrouverai l'envie, je pondrai une version 3 """""définitive""""", avec une fin améliorée et peut-être des péripéties supplémentaires qui la rendront plus ronde. Peut-être même que Lionel passera à la trappe, et sera remplacé par un personnage plus intégré à ce micro-univers.

D'ici là, lectrice ou lecteur, merci de prendre le temps de lire ces bafouilles.


A la prochaine pour d'autres aventures !

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