Quand on se souvient








A quoi ça ressemblait la première fois ?




A une question sans doute ; savoir si les volets bleus pouvaient réellement contenir toute cette musique. Combien de décibels ? Combien de basses ? Combien de torsions de tripes ?




Moi, je me revois mettre le nez à la porte. Un salut glacé à mon père qui s’éloigne en voiture.
 La porte. Bleue comme rien du tout. La cloche sonne. Yellow Submarine. 
C’est Angie qui ouvre, sauf qu’elle s’appelle Anne, et que c’est une femme magnifique. 
A droite, l’escalier. Bois d’océan. Il tremble sous le frisson qui me rejoint jusqu’au palier : le petit prince, mon autre moi, mon pote Romain. 
Il a la bouche déjà pleine d’idées.


La première fois n’a pas d’importance. 
Elle se mélange avec toutes les répétitions, elle enfle la partoche. 
Soudain, dans les bagages, on se retrouve avec tout plein de symphonies, roulées en boules de neige…




Alors dis-moi, c’était comment ?



C’était comme rien, gamin.



Y’a des murmures qui circulent.


Crois-moi... Chaque fois que la mémoire se recentre, c’est l’foutoir. 
Le sens général laisse sa place aux produits de la salle de bain. 
Mais j’me souviens encore des livres, des brosses à dents. Et des détails stupides aussi, comme l’album des Stones dans la corbeille de cuisine. Les loukoums. Et la tentative d’un gâteau au chocolat. Yuna qui riait et qui faisait tout. L’amour profond qui respirait dans les murs.


Est-ce qu’on peut aller plus loin ?


Oui. Mais ça finira.


C’est vrai.


Ça se terminera en logorrhée. A quoi ça sert ?


A rien.



On continue ?



Oui.



Fais de la place alors…




Y’a le vent sur le verre. Des tâches de pluie que je filme sur téléphone. Philippe ranime le feu. Héphaïstos secouriste. On parlera jamais autant que le soir, après l’art et la fête. J’essaye parfois de comprendre le jeu, ce qu’il a dans la tête. Il est presque le même qu’en classe, mais pas tout à fait. En attendant, on est toujours là : avec Romain, Philippe, Anne, Morgan, Yuna.

Ils pigent pas toujours leur propre poésie. 
Mais le théâtre transpire au-delà des masques de commedia. 
Y’avait une plénitude dans ce rêve de culture.


Et on riait… on riait tellement.

Parfois pour pas pleurer, hein !


Ouais. Mais dans cette baraque-là, on se sentait à l’abri.




C’est facile que de repenser au matelas sur lequel j’ai dormi.


Quoi d’autre ?


Les jeux de société entassés avec sagesse, les vinyles bordéliques. Des textes de théâtre étalés à la place du plancher. Toute la chambre de Romain : une fenêtre et des posters. En bonus, les confidences lycéennes de la nuit, les silences de plus en plus longs, et cet enfoiré de coq à six heures du matin. C’était toute une vie.


Il t’en reste encore ?


Il en restera toujours.


Tu te souviens des amandes ?


Entre autres.


Et du lait de riz ?


Aussi.



Ça faisait partie du goût. C’était un morceau du reste.


Ouais… Et les guitares, les Beatles, et Brassens…


Et quand y’avait tous les autres aussi, les grandes fêtes…


Oui. C’était fatiguant, comme toujours. Mais plus qu’ailleurs, ça ressemblait vraiment à des fêtes. 
Va savoir pourquoi…


C’était l’univers entier.



Ouais. Les yeux des filles, les bêtises, les loups-garoux…



C’était nous. Ensemble comme on le sera jamais plus.




Est-ce que ça nous manque ?

Je ne sais pas.




                                                                               





Tu veux parler encore ?





C’est sur le point de finir. Mais bon…




Désolé. Je ne veux pas te forcer.




Non, non, c’est pas grave… c’est naturel.



Tu trouves ?



Oui.



Pourquoi ?





Parce que c’est quand une maison brûle que l’on se souvient.

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