La Fille du Soleil (Récit audio)


L’hiver commence à vieillir…

Il y a… comme des crevasses. Toutes plantées sur l’échine du grand loup blanc.
Comme il y a bien longtemps…
Tu t’en souviens ?

C’était la première fois que tes yeux se remplissaient d’une rose, du ciel,  du rire de la mer.
Et les rues murmuraient si fort !
Mais tu ne peux pas t’en souvenir petite zuna, oh non. Et pourtant…
Pourtant le peuple du vent marchait déjà vers les plaines d’azur….

Ah… ça y est ! Je les revois…

Les hommes s’affairent près du feu, ils font du bruit. Et les enfants qui courent dans tous les sens ! Ils guettent le départ comme on guette le vol du héron…
Plus loin, les caravanes battent un rythme lent. Elles épousent déjà la longue route qu’elles devront parcourir…
Car de la ville froide jusqu’au Maghreb, il n’y a qu’un souffle. 
Les romani connaissent ce souffle…

Mais toi aussi, petite zuna. Toi aussi !
Encore aujourd’hui, tu le sens à chaque instant : quand tu danses, quand tu rêves, quand tu aimes, quand tu joues… Tu vois ? Je sais que tu le sais. Même si toi, tu n’as peut-être jamais compris pourquoi…

Alors je vais te raconter une histoire petite zuna : et quand j’aurais fini, tu le sauras peut-être.


C’était au début, avant le départ. Avant Ederlezi. 


Je me souviens d’Hanna assise près du fleuve, celui qui a été dompté par les gadjé. Elle  l’écoutait pleurer. D’habitude, elle chantait et riait pour le distraire : mais là, c’était différent. Hanna s’était perdue en lui.
J’étais inquiet, car cela ne lui ressemblait pas.
Alors je me suis agenouillé près d’elle, j’ai pris ses mains dans les miennes et j’ai attendu.

Attendu, attendu…

Longtemps après, une feuille a caressé son visage. Hanna a frémi !
Puis elle m’a regardé, avec ce sourire si étrange qui l’habite parfois. Et sans un mot, elle a serré encore plus fort mes paumes, avant de m’entrainer sur les chemins de pierre.

On est passés entre les portes closes et les imperméables pressés. Le ciel devenait blanc, une source de neige. Je me taisais.
Hanna ne disait rien non plus. Dans les rues, les regards des hommes glissaient sur sa jupe.
Mais pour elle, ils n’étaient que des ombres.
Et puis soudain, presque brutalement, nous nous sommes arrêtés.


C’était une maison toute bête. Comme toutes les autres.
Nous sommes rentrés à l’intérieur.
Je m’attendais pourtant à ce que l’on vienne nous saisir, nous hurler dessus, nous chasser ! Mais non. Tout était étrangement calme, presque endormi, apaisé. Il semblait n’y avoir personne.

Mais Hanna a gravi les escaliers, et t’a trouvé petite zuna.
Oui, ma fille. C’est le jour où tu as reçu le nom de « Zuna » qui, signifie « soleil » dans la langue du vent.

Hanna te tenait dans ses bras, et toi tu ne pleurais même pas ! Tu regardais.
Tu regardais avec tes yeux si particuliers, tes yeux ouverts sur le chagrin de Dieu

Hanna aussi t’a regardé. Et à cet instant, j’ai su que tu étais bénie.
Elle a versé une larme pour tes souffrances à venir, et trois sourires pour toutes les joies que tu vivrais. Elle a posé ses lèvres sur ton front, et a vu que tu suivrais des routes aussi longues que la crinière de l’océan. Elle t’a donné le feu des tziganes, parce que tu es notre petite sœur, et parce que tu es faite pour rayonner. Oui, tu guides nos pas sous ce ciel
Car tu es Zuna,  la fille du Soleil.


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