Lettre à une Inconnue (version audio)
Je suis venu pour écrire,
Pour t’écrire.
Pour t’écrire partout, sur les colonnes du
temps
Ou sur cette vieille dame qui vient de
mourir ;
Pour t’écrire dans le vent.
Pour écrire
Tous ces mots de fol que tu n’entendras jamais.
Regarde-les !
Ils naissent de mon doigt et s’envolent pour de
bon.
Ils embrasent le matin ;
Ils n’auront ni foyer, ni patrie, ni maison.
On les a jetés vers le haut ; et leur
chute sera inévitable :
Braves et stoïques. Comme des soldats de
plomb !
Ils se fracasseront
En rangs d’oignons
Là-bas...
Sur ton mur.
Sur ce mur si haut et fragile,
Sur ces remparts de gêne et de honte.
Si familiers, si chauds…
C’est là qu’ils peindront le sang de l’Amour.
Tu sais, ça fait plusieurs jours que je suis
là.
Il a plu trois fois sur mon cœur, mais rien ne
semble avoir bougé.
Et le vieux chien qui a vu les étoiles
Semble maintenant perdu au jeu des idées.
Pour t’attendre, je m’amuse à compter
Les notes jaunies qui valsent sous le
ciel :
Elles sont minces, décharnées…
C’est triste, mais beau.
Comme une pluie d’automne.
Oui, je suis toujours sur mon tabouret.
Je ne bouge pas.
Peut-être parce que je me suis mué en veilleur
de bronze,
En statue de Dante poli par l’amour,
Ou bien en effigie de la contemplation à vide.
Mes yeux tentent de percer ce mur buriné qui se
veut vitrine :
A force d’observer, je me rends compte que je
reconnais chacune de ses rides,
Chacune de ces fissures de rêves qui
m’éloignent de toi.
Et je me prends à imaginer…
A quoi ressemble ton vrai toi ?
Qu’il y a-t-il au-delà de ces apparences ?
Au-delà de mes erreurs, au-delà de notre
attitude,
Au-delà de l’ignorance que nous éprouvons l’un
pour l’autre ?
As-tu peur de moi ?
Crois-tu que je sois là pour te faire
souffrir ? Crois-tu que cela m’amuse de disséquer le monde à travers le
prisme de mon nombril ? D’avoir le cœur coupable rempli à ras-bord comme
un calice d’amertume ?
Non. Le passé n’est pas éternel.
Mais il y a quelque chose de coincé au fond de
la gorge,
Quelque chose d’irrésolu.
Alors, si vraiment tu es femme et non déesse,
Approche ! Entends-moi !
Comment un simple mortel peut-il
t’effrayer ?
Allons viens, oublie la peur !
Qu’il y a-t-il de plus naturel
Que de parler ensemble ?
Raconte-moi
- Oh oui ! Raconte-moi -
Ce dont tu songeais lorsque tu étais
petite ;
Quelles sont les pensées qui t’ont faite femme,
Quels visages ont sculpté ta vie ?
Est-ce que tu te sens ivre de tes propres
jours, de ta poitrine qui bât la mesure,
Du fleuve qui te submerge, des nuées qui
t’embrassent,
Des perles folles qui abîment ton espoir ?
Parle-moi des sommets que tu as gravis,
Des collines que tu as parcourues.
Des vins qui ont ravagé ta joie,
Et de ceux qui t’ont faite reine.
Qu’importe enfin, si tu n’es pas celle que
j’espère ?
Qu’importe au fond, que nous soyons si
différents ?
Je ne te demande plus rien,
Car le passé est mort.
Mais cet avenir, ce bel avenir ?
Ne pourrions-nous pas en faire autre chose
Qu’un monument
De ce qui fut ?
Ma chère inconnue,
N’est-il pas temps de se connaître ?
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